Le chant est la musique de l’âme
Si le chant n’épouse pas le silence, il n’est pas...
Cet aphorisme de Guillevic m’accompagne depuis une vingtaine d’années dans ma pratique du chant et dans la transmission de l’Euphonie Vocale. J'ai parfois ressenti ce silence enveloppant dans lequel je baignais, sans nul autre besoin ou désir que d’être en sa présence. Quelques rares fois, j’ai été capable de chanter à partir de ce silence intérieur.
La double nature du son
Samâ’, en arabe, est l’audition spirituelle, qui requiert la capacité de faire silence. Mais comment faire silence dans ce monde d’agitation, de bruit, de pensées incessantes et parasites ?
D’abord, s’asseoir !
Redresser la colonne vertébrale pour positionner l’oreille interne et se détendre, afin d’être ouvert, comme un enfant curieux qui découvre le monde sans a priori. L’ouïe développe la capacité d’attention et stimule le cerveau, l’écoute devient active.
"L’oreille du cœur finit par s’ouvrir lorsqu'on a bien ouvert les oreilles physiques." (Idris Lahore)
Pour chanter, il faut écouter, être présent au son avant de le reproduire. Alors la qualité du chant vivant ou des paroles offertes résonnent dans la présence à tout ce qui vit là dans l’instant. Chanter - ou parler - devient un acte sacré qui magnifie l’instant. Rudolf Steiner évoque les prêtresses qui écoutaient les forces de la nature, le vent, le murmure des arbres, les nuages, et les interprétaient avec des sons et des rythmes. Le clan réuni autour d’elles percevait alors les puissances supérieures manifestées dans ces chants. L’écoute précède le chant.
Le son se manifeste pourtant de façon matérielle. Quantifiable et mesurable, il parvient à nos oreilles physiques sous l’effet des vibrations de l'air provoquées par le frottement mécanique des cordes vocales du chanteur. Mais la vie qui passe dans ce son est d’origine spirituelle.
"La musique est née de la rencontre de la parole et du souffle divin avec la matière… Tout ce qui existe recueille, dans les profondeurs de son être, un son spirituel. L’homme lui-même, dans son essence la plus intime, est un son spirituel." (Selim Aïssel) Le son limpide et animé de la voix humaine qui chante est comme l’image acoustique de l’entrelacement du monde physique et du monde spirituel. Si nous posons comme hypothèse que toute matière est de l’esprit condensé, nous pouvons imaginer que le son est une manifestation de l’esprit. A nous de choisir avec quels sons et quelles paroles nous souhaitons nourrir notre âme et notre esprit.
L’être humain, un merveilleux instrument de musique
Mais comment accorder ce récepteur-émetteur humain ?
Comment trouver la bonne posture, qui évite les parasites comme lorsque, dans mon enfance, nous cherchions la bonne fréquence pour écouter la TSF ?
Il faut d’abord connaître les capacités de réception de l’être humain en cultivant un art de l’écoute qui inclut l’ouïe, le toucher, la vue, la perception de l’espace, de l’équilibre, du mouvement ; puis découvrir le potentiel musical de ce corps, ce qu’il est capable de produire comme beauté, force et vie.
Chanter de façon harmonieuse et équilibrée et se tenir debout, droit, ancré dans la terre et la tête dans les étoiles, nous rappelle que nous sommes un esprit incarné dans un corps physique terrestre.
Il s’agit par le chant d’accorder et d’unifier ces deux mondes en nous. Notre corps musical prend appui dans le sol, s’ancre dans le hara et se sent appelé vers le ciel par le haut du crâne, libérant la nuque, le thorax, le diaphragme et le plexus solaire. Le bon positionnement de la nuque induit une juste position du larynx et favorise la conduction du son dans les vertèbres.
Nous accorder dans cette droiture nécessite de détendre nos mâchoires crispées par le stress et le refoulement. Autour de cet axe vertical s’articulent et s’alignent les trois éléments qui constituent notre corps instrument : le bassin qui soutient la musculature pour la projection du souffle ; le thorax qui contrôle volontairement ce souffle et favorise les échanges respiratoires et circulatoires ; les amplificateurs des cavités buccales, nasales et pharyngées qui soulignent le timbre, la couleur et l’intensité du son.
Ces trois sphères (physique, émotionnelle, intellectuelle) correspondent aux trois foyers énergétiques ou Tan Tien de la médecine traditionnelle chinoise.
Le geste vocal, en les ordonnant par une émission saine et harmonieuse, offre au chanteur la capacité d’entrer en résonance avec tout ce qui est de même nature harmonieuse et structurée dans le monde autour de lui. Dans l’amplification de cette résonance, le chanteur manifeste la joie, la souplesse, la force, le jaillissement, la liberté. Tout en guidant sa respiration, il libère le son de la pesanteur physique et le fait retentir dans l’espace, gonflé de chaleur.
Alors, à partir de la chaleur de son cœur, il entre dans un espace de liberté et il manifeste la beauté éphémère du chant comme une fleur offre sa beauté au regard.
La beauté est la grande force structurante de l'univers et elle s'incarne par la volonté, la mise en action et la création. La beauté du chant élève l’âme grâce à la force structurante de la mélodie, du rythme et de l’harmonie, et grâce à l’amour de l’interprète pour ce qu'il joue et grâce à la pensée du compositeur.
"Celui qui chante se rend droit et déploie son action morale. Quand il s’est mis lui-même en mouvement, le Ciel et la Terre lui répondent, les quatre saisons sont en harmonie, les étoiles et les astres sont bien réglés, tous les êtres sont maintenus en vie." (Yo Ki)
Exercice de la paille
Soufflez fort et le plus longtemps possible dans une paille et ressentez les muscles de la ceinture abdominale mobilisés pour soutenir le souffle.
Soufflez de la même façon, mais en posant l’autre main dessous pour ressentir l’air dans la paume.
Gardez la main sous la paille. Soufflez dans la paille en ressentant l’air dans la main, puis ajoutez un son.
Assurez-vous que le débit de l’air soufflé dans la paille soit de même intensité avec le son et sans le son. Y a-t-il autant de souffle avec le son ? Non ? Essayez encore !
Constatez la forte mobilisation musculaire de la ceinture abdominale.
Ôtez la paille et émettez un son en maintenant la même mobilisation musculaire. Que constatez-vous au niveau corporel ? Au niveau du son ?
Le chant est la musique de l’âme
"Aussi avidement que j’aie pu chercher sur d’autres chemins la rédemption, l’oubli et la liberté, autant que j’ai eu soif de Dieu, de connaissance et de paix, ce n’est que dans la musique que j’ai tout trouvé." (Hermann Hesse)
La musique est la force créative et céleste qui concerne l’homme tout entier. Issue des harmoniques, dynamisée par les rythmes cosmiques que l’on retrouve dans notre corps -rythmes respiratoire, circulatoire, liquidiens, cellulaires -, la musique chantée propose des mélodies savantes ou populaires offrant dans la succession de leurs notes un ordonnancement qui, selon le mode ou la tonalité, agit sur l’humeur, apaise ou stimule, dynamise ou détend…
Les khalifes Omeyyades du 12e siècle, à Grenade, connaissaient parfaitement ces effets et leurs musiciens jouaient et chantaient toute la journée, mais des modalités différentes selon l’heure et la saison, afin d’accorder ceux qui écoutaient à leur environnement et au cosmos.
Le logos, le langage, a pris forme grâce à l’air, à l’organe auditif et à l’organe respiratoire qu’il a élevés au niveau d’instruments de production des sons.
Tout d’abord, nous dit Steiner, l’homme exprimait avec des consonnes ses échanges avec le monde extérieur. Puis le langage acquit une forme poétique et créative qui n’existe plus maintenant. Le chant, en étirant les voyelles structurées par les consonnes, en les modulant et en les rythmant, redonne au langage dévoyé ses lettres de noblesse. C’est avec délectation que l’esprit peut alors se mettre au diapason de la force et de la beauté du langage que l’art du chant révèle.
Le chant monodique oriental exprime toute la gamme des émotions et des sentiments humains. Le chant polyphonique occidental apporte la dimension verticale lorsque les voix différentes chantent ensemble en s’harmonisant. Chanter à plusieurs voix apporte une joie immense. Chaque chanteur joue sa propre mélodie, représentante d’une individualité propre au service de l’ensemble. Au lieu du conflit généré par la différence, comme en témoigne quotidiennement notre monde actuel, le chanteur vit la complémentarité dans l’harmonie. C’est une expérience humaine unifiante des plus nobles et enrichissantes.
"Si tu veux juger des mœurs d'un peuple, écoute sa musique." (Confucius)
Le chant thérapeutique
Le chant est une pratique énergétique permettant au système autorégulateur du corps, appelé également subconscient, de recevoir de nouvelles informations saines grâce aux formes et structures musicales harmonieuses. Le codage musical libère l’énergie entravée ou bloquée dans les canaux énergétiques (méridiens, nadis, silsillas) ou les centres énergétiques appelés chakras, permettant un retour au bien-être.
Le chant agit comme un antidote au chaos de la vie qui déstructure l’ordre musical interne de l’être humain. En pénétrant dans toutes les cellules du corps, il nettoie leurs déchets et les dynamise.
L’improvisation, clé de voûte de l’euphonie vocale, est une pratique énergétique spécifique qui, en libérant les blocages, apporte un flux d’énergie considérable au chanteur comme à l’auditeur.
Avant de se laisser chanter, le chanteur se drape dans le silence pour se mettre au diapason des auditeurs avant de laisser sa voix s’envoler. La sagesse intérieure du chanteur rencontre celle des auditeurs s'ils sont réceptifs et ouverts. Je me souviens de nombreux témoignages évoqués après l’une de mes improvisations en concert. Une personne m’a signifié que son mal de tête avait disparu, avec l’impression qu’un bouchon sautait au niveau du haut du crâne ; un homme a fondu en larmes, laissant s’écouler les larmes qu’il retenait jusqu’alors ; des jeunes venaient vers moi avec des étoiles dans les yeux …
J’ai eu la chance d’étudier auprès de Fabien Maman, musicien, acupuncteur et chercheur, qui a mis au point les diapasons sonores pour stimuler les points d’acupuncture avec les notes de la gamme musicale. Ses travaux dans un laboratoire de recherche à l’université de Jussieu à Paris ont montré que certaines fréquences sonores détruisent les cellules cancéreuses.
Ceci est confirmé par ma rencontre, il y a une vingtaine d’années, avec une chanteuse qui s’est guérie de trois cancers successifs en chantant toute la journée à l’hôpital.
En ce qui me concerne, de façon plus prosaïque, ma pratique la plus efficace pour améliorer mon humeur et mon état intérieur est le chant à voix haute : le corps se décrispe, se détend, le système parasympathique retrouve sa juste fonction, le psychisme peut sortir de sa focalisation sur l'émotion ou la situation négative grâce à l’apport considérable d’énergie de vie offert par le chant, redonnant vie à ce qui était bloqué dans le mental.
Ma passion pour la musique et le chant n’a jamais été accompagnée par des connaissances musicologiques, domaine des exégètes.
Il y a une vingtaine d’années, alors que j’avouais à un de mes professeurs de chant que j’écoutais très peu de musique et que j’en étais ennuyée, elle m’a répondu : "C’est pour écouter ta propre musique, ton propre chant".
Ces mots m'ont guidée et j’ai eu la chance d’entrer en contact avec ce chant intérieur en le libérant. Je n’ai eu de cesse depuis de chercher à faire éclore chez mes élèves, ce chant de l’être et de l’âme, individuel et unique, une pratique qui demande de se dépouiller de tout qui n’est pas soi, engageant sincérité, détermination et persévérance.
Mais lorsque le chant, dans un mouvement vital et un déploiement inconnu jusqu’alors, monte en nous, se libère et s’offre, un sentiment de liberté, de plénitude et de joie immense envahit le chanteur. Le chant devient une action de grâce et un hymne à la vie qui nous est donnée et qui nous traverse.
Je souhaite à chacun de pouvoir vivre ce moment. Car nous ne pouvons ensuite plus ignorer qui nous sommes au plus profond de nous et qui nous est révélé dans ce chant de l’être : un être d’amour, de joie, de générosité, de clarté et de sérénité qui nous demande de le dévoiler…
Leïla Aimée / Mireille Marie
Créatrice de l’Euphonie Vocale®
Directrice de l’école de chant éla
L’école Leïla Aimée, éla, transmet l’Euphonie Vocale, une approche holistique originale du chant. Ela s’adresse aux individus autant qu’aux institutions dans les secteurs du développement personnel, de la santé, de l’éducation, de l’art vocal et de l’entreprise.